LE SAINT-GRAAL, MYTHE OU RÉALITÉ?
Au soir d’une longue chevauchée, le jeune Perceval trouve l’hospitalité dans la somptueuse demeure d’un noble infirme. Pendant que le chevalier et son hôte conversent, un jeune homme portant une lance blanche traverse en silence la grande salle du château. Il n’échappe pas à Perceval qu’une goutte de sang perle de la pointe de cette lance jusqu’à la main du porteur, mais il n’ose s’enquérir de cet étonnant phénomène. En effet, un bon chevalier ne doit s’exprimer qu’en cas de stricte nécessité. Il se tait donc lorsqu’il voit ensuite passer deux jeunes gens avec des candélabres d’or, accompagnés d’une élégante demoiselle tenant un graal entre ses mains, suivie d’une autre avec un tailloir (un petit plateau pour découper la nourriture).
Le graal retient toute son attention. Fait de l’or le plus pur, orné des pierres les plus précieuses, il rayonne avec une telle puissance qu’il éclipse toutes les chandelles de la pièce. L’étonnant cortège change de pièce sans que le chevalier ose formuler la moindre question à leur sujet. Pendant le festin, il feint à nouveau d’ignorer la présence du graal dont la clarté prodigieuse irradie, alors que ce dernier passe et repasse devant eux à chaque mets. L’heure du coucher venue, le généreux seigneur prend congé de son hôte et se fait transporter hors de la salle par quatre serviteurs. Perceval n’aura plus jamais aussi belle occasion d’obtenir les réponses sur les secrets du graal. Le mystère de la quête du Graal ne cessera de tourmenter les esprits jusqu’à nos jours.
Perceval va se coucher à son tour et s’éveille le lendemain dans un château désert. Le jeune chevalier ne s’en inquiète guère et enfourche son cheval prêt au départ dans la cour du château. Sans hésiter, il franchit le pont-levis abaissé. Sans doute les serviteurs seront-ils sortis relever des pièges dans la forêt ? Il espère croiser l’un d’entre eux. Il en profitera pour le questionner sur cette étrange lance qui saigne et sur ce mystérieux graal. À peine Perceval a-t-il franchi le pont qu’il se relève brutalement. Il a beau crier, personne ne répond à ses appels. À quoi ressemble précisément l’objet aperçu la veille ? Que contient-il ? Comment cet énigmatique récipient, apparu pour la première fois dans un récit de la fin du XIIe siècle, va-t-il devenir le Saint-Graal ? Pourquoi les chevaliers du roi Arthur qui, jusqu’alors, n’étaient en quête que d’aventures féeriques ou de l’amour de leur dame, se consacreront-ils désormais à son unique recherche ? Quel est son lien avec la Passion du Christ ?
Paradoxalement, son origine ne se trouve ni dans la Bible, ni dans l’histoire des croisades. La première apparition du Graal se fera dans l’un des tout premiers chefs-d’œuvre de la littérature française : le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, un récit composé en octosyllabes à partir de 1182. Pour mieux comprendre son mystère fascinant, il faut s’intéresser à la suite du roman. Après avoir quitté le château, Perceval croise une damoiselle qui s’étonne de sa présence en des lieux éloignés de tout gîte. Elle lui révèle qu’il a été hébergé dans le château du riche Roi Pêcheur, qui a reçu un coup de javelot entre les deux hanches lors d’une bataille. Quelle grave erreur de ne pas avoir osé parler du Graal ! Il aurait pu ainsi guérir le Roi et faire la joie de son royaume.
À présent, tous sont condamnés au malheur, à commencer par lui-même. En effet, l’insouciant chevalier ne cessera plus, dès lors, de dépérir. Le fougueux jeune homme devenant un chevalier errant, mélancolique et rongé par la culpabilité. Solitaire, il chevauche sans but pendant cinq années, jusqu’au jour où son oncle, un ermite, lui fait d’importantes révélations. Celui à qui est destiné le Graal n’est autre que le père du Roi Pêcheur. Depuis douze ans, ce saint homme survit sans sortir de sa chambre, en se nourrissant du seul contenu du Graal. Que peut-il donc bien contenir ? « Pas de brochet, de lamproie, ni de saumon, précise l’ermite. Dans le Graal, ces poissons de luxe sont remplacés par une hostie. » Perceval demeure auprès de l’ermite pour faire pénitence et c’est ainsi que se terminent ses aventures.
Chrétien de Troyes avait-il achevé son roman ou est-ce la mort qui l’a empêché de poursuivre son œuvre par les retrouvailles de Perceval avec le Roi Pêcheur ? Il est vrai que le Conte du Graal est le dernier des cinq romans de chevalerie qu’il a composés. La rupture, en 1183, entre son principal mécène, Marie de Champagne −, la fille d’Aliénor d’Aquitaine et du roi de France Louis VII − et Philippe d’Alsace, comte de Flandre, à qui l’œuvre est dédiée, n’a pas dû inciter Chrétien de Troyes à honorer sa commande. Pourtant, il ne clôt pas son roman sur la rencontre de Perceval avec l’ermite. Le conteur semble subitement se désintéresser de son premier héros − et du Graal − pour se consacrer aux aventures d’un autre éminent chevalier, Gauvain. Pourquoi aurait-il interrompu l’histoire de Perceval, si ce n’est parce que la quête de ce personnage était achevée et qu’il était temps qu’un autre chevalier prenne le relais ?
Toujours est-il qu’en 1191, la réalité rattrape la fiction. Les moines de Glastonbury creusent avec ferveur le sol de la colline qui domine leur nouvelle abbaye. Un des bénédictins a reçu en songe une révélation : c’est là, sous les ruines de la vieille église dévastée par un incendie, qu’a été enseveli le corps du roi Arthur. L’enjeu est de taille ! Ruinés par la destruction de leur monastère, les moines rêvent de redorer le blason de leur communauté et d’attirer ainsi les dons des fidèles du royaume d’Angleterre. Quant à la famille Plantagenêt, qui vient de perdre son membre le plus éminent en la personne du roi Henri II, elle saura tirer profit de cette édifiante découverte pour obtenir l’appui des Bretons contre les Saxons. Ces derniers tolèrent mal la domination normande, même après quatre-vingt-dix ans. Et le miracle se produit : les moines exhument les ossements d’un homme de haute taille. À ses côtés, dans la même tombe, repose un squelette plus petit, couronné d’une magnifique chevelure dorée. Une inscription latine gravée sur une croix achève de lever le doute sur l’identité des corps : « Ci-gît le renommé roi Arthur enseveli avec Wenneveria, sa seconde femme, dans l’île d’Avallonie. »
Ce n’est évidemment pas un hasard si le couple légendaire formé par le plus illustre roi breton et par la reine Guenièvre se trouve en ces lieux. C’est à cet endroit précis que Joseph d’Arimathie, le chrétien qui, selon les Évangiles, fut autorisé par Ponce Pilate à emporter le corps de Jésus après sa crucifixion, arriva en Angleterre et fonda la première église chrétienne du pays. On raconte même qu’il aurait caché le Saint-Graal dans le puits des jardins de Chalice. Il suffit, pour s’en persuader, d’observer les reflets rougeâtres qui teintent l’eau de ce puits : c’est la couleur du sang du Christ, contenu dans le vase sacré ! Est-ce bien là en effet, comme le soutiennent les moines de Glastonbury et la famille Plantagenêt, que se cache le Saint-Graal ?
De l’autre côté de la Manche, en France et en Flandre, on revendique aussi des reliques contenant les dernières gouttes de sang versées par Jésus ! À Bruges, à la fin du XIIe siècle, chacun sait que Thierry de Flandre, le père du comte régnant Philippe d’Alsace, rapporta de Terre sainte, en 1148, des gouttes de sang coagulé du Christ. D’autres candidats au titre de Saint-Graal se trouvent aussi à Reims ou à Fécamp… À moins qu’il ne fasse partie des reliques réunies par le roi Saint Louis et conservées à l’intérieur de la Sainte-Chapelle, qu’il fit édifier dans les années 1240 au cœur de Paris, sur l’île de la Cité ? Où est caché le vrai Saint-Graal ? Et pourquoi son histoire est-elle si étroitement liée à celle du roi Arthur et de ses chevaliers ?
De nombreux conteurs tenteront d’élucider ce mystère en rédigeant une suite aux aventures de Perceval. Entre 1190 et 1230, quatre romans français en vers se présentent comme des continuations du Conte du Graal et s’efforcent de combler les lacunes du récit original. Pendant les premières décennies du XIIIe siècle, fleurissent de longs romans en prose sous les titres de Roman de l’histoire du Graal, Quête du Saint-Graal ou encore Haut Livre du Graal. Le conte devient ainsi une histoire ou plutôt un livre, comme la Bible, dont la vérité ne peut être mise en cause. Au fil de ces textes, l’objet tant convoité se voit doté de nouvelles propriétés. Il se déplace seul pour nourrir la cour au grand complet, sert les breuvages et les plats les plus succulents en s’adaptant aux goûts de chaque convive. Lors de ses apparitions, toujours plus éblouissantes, une colombe blanche ou des anges dansent dans les airs, des odeurs suaves se répandent et des chœurs invisibles font résonner leur chant. Capable de guérir toutes les blessures et toutes les maladies − y compris la folie −, de prolonger la vie et de retarder les effets du vieillissement, le Graal plonge ceux qui le contemplent dans une extase mystique.
Certains de ces romans situent le Graal à Glastonbury, d’autres à Corbénic en terre étrangère, dans un autre monde. Ceux qui pensent que ce lieu n’est pas seulement féerique l’ont identifié à la cité de Corbény, non loin de Reims. On y vénère les reliques de saint Marcoul et c’est là que, de Saint Louis à Louis XIII, le lendemain de leur sacre ou lors des grandes fêtes liturgiques, les rois de France touchaient les malades qui se présentaient devant eux pour les guérir des écrouelles. De même que Galaad, l’ultime champion du Graal qui, dans l’un des romans en prose du XIIIe siècle, guérit le roi malade à Corbénic après avoir accompli la quête. Il semble que les Plantagenêts ne soient pas la seule famille royale à s’être intéressée à cette saga littéraire. En France, les Capétiens ont également su en faire à leur avantage une arme de propagande. Et ils ne seront pas les seuls...
Chrétien de Troyes fait aussi des émules en Allemagne. Coup de théâtre, entre 1200 et 1210, un certain Wolfram von Eschenbach, chevalier bavarois de son état, dénonce la supercherie que constitue selon lui le roman de « meister Cristian ». La seule source fiable de l’authentique histoire du Graal est Salomon. Le roi biblique en a eu la révélation grâce à son ascendance prestigieuse et à sa science des étoiles. De génération en génération, ses descendants se sont transmis l’histoire jusqu’à ce que l’un d’entre eux, l’astronome Flegetanis, héritier du judaïsme de sa mère et de la foi musulmane de son père, le mette par écrit. C’est Kyot, un auteur provençal, qui a retrouvé à Tolède le manuscrit arabe où l’histoire était transcrite. Il l’a communiquée de vive voix à Wolfram, qui est, par conséquent, l’unique autorité compétente en la matière. Voici du moins comment l’auteur de Parzival présente sa version au public germanique.
Il est vrai que l’originalité de la version germanique est incontestable : le roi infirme, nommé Amfortas, est le petit-fils de Titurel, le vieux roi du Graal, et réside au château de Montsalvage ; Perceval, à la faveur d’une seconde chance, finit par connaître le sens des objets qu’il a contemplés ; et surtout, le Graal est une pierre céleste dont la puissance se renouvelle le vendredi saint, gardée par les Templiers, ordre monastique dont Wolfram chante les louanges. De même que le Conte du Graal en France, le roman de Wolfram s’imposa en Allemagne comme une œuvre incontournable, qui marqua durablement l’imaginaire. Richard Wagner s’en inspirera directement pour créer l’opéra du même nom, en 1882, soit sept siècles après la première évocation d’un certain graal par Chrétien de Troyes.
C’est ainsi qu’apparut, en une quarantaine d’années, l’objet le plus convoité et le plus mystérieux des littératures française et allemande. Ainsi, Perceval, Gauvain, Bohort, Lancelot et son fils Galaad − tous sur la piste du fameux Graal qui devait apporter la joie et l’abondance au royaume de Logres, gouverné par le roi Arthur −, devinrent les vedettes de la littérature romanesque médiévale. Mais que cherchaient ces chevaliers ? Qu’appelait-on un graal à cette époque ? La définition qu’en donne un moine cistercien nommé Hélinant de Froidmont au début du XIIIe siècle nous éloigne de cette quête chevaleresque : « Un grand plat de service assez profond, dans lequel des mets précieux sont présentés avec leur jus, bouchée par bouchée, offerts à profusion parmi les plats variés des banquets. » Le graal n’était alors rien d’autre qu’un récipient relativement grand et profond destiné à contenir des aliments en sauce. Comment Chrétien de Troyes a-t-il eu l’idée de placer cet ustensile de cuisine au cœur de son plus important chef-d’œuvre ? Il a lui-même déclaré que le canevas du Conte du Graal lui avait été fourni par son commanditaire Philippe d’Alsace, parrain et précepteur du jeune roi Philippe Auguste. Un livret destiné à servir de feuille de route au conteur a bien existé, mais personne ne l’a retrouvé. On ne saura donc jamais si le comte de Flandre souffla à Chrétien de Troyes l’idée de mettre en scène un graal extraordinaire.
L’énigme bascule au début du XIIIe siècle, sous l’influence d’un autre auteur, Robert de Boron. Dans son Livre du Graal, ce dernier ne se contente pas de relayer son illustre prédécesseur. Il réécrit et reconstitue l’histoire en se fondant sur une identification qui circule dès les années 1190 : le Graal serait un vase à l’intérieur duquel Joseph d’Arimathie aurait recueilli le sang du Christ après sa crucifixion.
Selon la version proposée par Robert de Boron, il serait devenu le vase dans lequel Jésus aurait établi l’Eucharistie, le soir de la Cène et qui aurait été remis le jeudi de son arrestation à Ponce Pilate. Il aurait ensuite été offert à Joseph, en récompense de ses bons et loyaux services, avec le droit d’emporter le corps du Christ. Quant à la lance « qui saigne », elle appartiendrait au centurion romain Longin, qui l’utilisa pour frapper le crucifié. Grâce à une lignée de puissants personnages, nommés les gardiens du Graal, chargés d’assurer la succession de Joseph, le précieux vase aurait ainsi été conservé et transporté en Occident vers les vaux d’Avallon. Pendant plusieurs siècles, les Rois Pêcheurs, gardiens du Graal, veillèrent sur le trésor, jusqu’au règne du roi Arthur. Grâce à la légende des Chevaliers de la Table ronde, sorte de « Bible » du Graal, l’objet acquiert le statut de relique de la Passion et devient pour les siècles à venir le Saint-Graal. Désormais, les chevaliers du roi Arthur font figure de serviteurs zélés du Dieu chrétien. En effet, Robert de Boron a noué un fil solide entre la table de la Cène et la Table ronde. Les chevaliers d’Arthur, d’origine celtique, se changent ainsi en soldats du Christ. Le mythe de la quête du Graal est né !
Est-ce donc dans la Bible qu’il faut chercher l’origine et le secret du Graal ? Si Ponce Pilate et Joseph d’Arimathie sont bien cités dans le Nouveau Testament, il n’en est rien du Graal, ni même d’ailleurs du geste de Joseph d’Arimathie consistant à recueillir le sang du Christ. Aucune trace de ce contenant sacré dans la tradition chrétienne avant la fin du XIIe siècle. Des modèles possibles du Graal prolifèrent en revanche dans la mythologie des peuples celtes : coupes merveilleuses de l’Autre Monde, corbeilles ou écuelles inépuisables, cornes à boire et chaudrons d’abondance rappellent les vertus nourricières du saint-récipient. Grâce au Graal, Chrétien de Troyes avait accompli un miracle : intégrer des personnages et des symboles païens dans l’histoire de la chrétienté et transformer ainsi la matière de Bretagne, où il puisait son inspiration, en mythe chrétien.
À plusieurs reprises au cours des siècles, le mythe du Graal fera irruption sur la scène de l’Histoire, parfois dans de sinistres circonstances. En 1935, Otto Rahn, un médiéviste collaborateur direct du SS Heinrich Himmler, défendit la thèse selon laquelle le château de Montségur aurait abrité, pendant la croisade contre les Albigeois, les derniers représentants des Aryens, ainsi que leur ultime symbole, le Graal. Quels arguments poussèrent l’historien nazi à voir dans la forteresse cathare située en Ariège le refuge du Graal ? Revenons sur cette Allemagne du XIVe siècle. Albrecht von Scharfenberg, bavarois comme Wolfram von Eschenbach, s’inspire de son Parzival pour proposer sa propre version de l’histoire, sous le titre Nouveau Titurel au XIVe siècle. Son Graal est une pierre verte qui ornait le front de Lucifer (le Porte-lumière en latin). Le plus beau et le plus orgueilleux des anges perdit la pierre quand il fut chassé des cieux pour s’être rebellé contre Dieu. Albrecht situe le royaume du Graal près des Pyrénées et nomme le gardien de la pierre Pérille. Or, au XIXe siècle, on note la ressemblance entre ce nom et celui des seigneurs de Montségur, les Perelha. Une nouvelle légende voit le jour : Montsalvage et Montségur ne feraient qu’un. Le dernier bastion des cathares du XIIIe siècle voit alors affluer les romantiques allemands. On raconte même que Richard Wagner se rendit en pèlerinage à la citadelle, ainsi que dans un village voisin, Rennes-le-Château, où un curé du nom de Bérenger Saunière allait découvrir, quelques années plus tard, un fabuleux trésor. Encore un terrain de prédilection pour les chasseurs de Graal.
Aujourd’hui, le mystère du Graal n’est pas épuisé, loin de là. Il continue à obséder nos contemporains : de la pièce de théâtre de Julien Gracq, Le Roi Pêcheur, à la série Kaamelott, en passant par le film de Steven Spielberg Indiana Jones et la dernière croisade et le best-seller de Dan Brown Da Vinci Code, le contenant sacré demeure omniprésent dans l’imaginaire occidental. Le Graal s’invite même à l’occasion dans la rubrique des faits divers. Ainsi, les lecteurs du Figaro du 19-20 août 1995 ont eu la surprise de découvrir dans leur journal le titre suivant : « Querelle autour du Saint-Graal. Ce vase légendaire, associé à la quête du roi Arthur et des chevaliers de la Table ronde, se trouverait à la fois en Grande-Bretagne et en Italie. » Quelque temps auparavant, une jeune graphiste de vingt-quatre ans, Victoria Palmer, annonçait qu’elle venait d’extraire le Graal d’une statue reçue en héritage et déclarait au magazine Newsweek : « Ma famille croyait qu’il s’agissait d’un bibelot de l’époque victorienne caché pour une raison futile. »
L’historien anglais Graham Phillips confirme que cette famille du Shropshire, descendante des anciens souverains gallois, est bien en possession de la sainte relique. Elle fut donnée aux Anglais, au cours du Ve siècle, après le pillage de Rome par les Barbares et avant d’entrer dans le trésor royal du pays de Galles. Les réactions ne se feront pas attendre. Scandalisé, Rocco Zingaro di San Fernando, grand maître des Templiers italiens, dément en exhibant une fiole verte : « Voici l’authentique Saint-Graal ! » Il en est le seul détenteur, la relique ayant été confiée à un grand précepteur italien de l’ordre des Templiers, Antonio Ambrosini, qui l’a transférée depuis un monastère copte égyptien dans son pays d’origine !
Mais c’est compter sans l’Espagne, autre pays catholique, où l’on célèbre depuis des décennies la messe du saint Calice tous les jeudis dans la cathédrale de Valence. On y vénère un récipient taillé dans une agate orientale de couleur vert émeraude qui aurait servi à la première eucharistie pendant la Cène. Pour justifier la présence de ce « diamant vert » à Valence, les historiens expliquent que les papes, depuis saint Pierre, se sont transmis le calice de la Cène. Caché dans des villages espagnols pendant les persécutions contre les chrétiens, puis pendant l’invasion sarrasine de 713, le Saint-Graal aurait été remis en 1437 à la cathédrale de Valence par le roi Alphonse V d’Aragon. Entre ces Graal anglais, italien et espagnol, nous n’avons que l’embarras du choix !
Le Graal change de lieu, d’aspect et de contenu, selon celui qui le recherche ou le contemple. N’a-t-il jamais été autre chose qu’un mirage, une fiction littéraire et historique, évoluant au gré des enjeux de pouvoir ou des impératifs esthétiques ? A-t-il réellement existé ? Existe-t-il toujours ? Oui, assurément, tant que l’on continuera à se disputer sa possession et à s’interroger à son sujet...
Par Stéphane Bern dans "Secrets d'Histoire 3", editions France Loisirs 2012, France. Dactylographié et adapté pour être posté par Leopoldo Costa.
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