L'ÉVANGILE DE MYRIAM DE MAGDALA (MARIE-MADELEINE)

Ainsi, parmi tous les Évangiles écrits ou attribués à des hommes, il y aurait un Évangile écrit ou attribué à une femme. Cette femme serait Myriam de Magdala. Celle qui, au dire des autres disciples, a «vu» l’Enseigneur ressuscité (voir Jn 20,18). Rares sont les écrits chrétiens des premiers siècles qui ne font pas mention de son personnage tantôt magnifié, tantôt minimisé.

À côté de notre Évangile, deux autres écrits ont été mis sous le nom de Myriam de Magdala: Les Questions de Marie, mentionné par Épiphane7, et La Naissance de Marie, dont un épisode est rapporté par le même Épiphane8.

Le premier de ces écrits, Les Questions de Marie, où Myriam de Magdala apparaît dans toute son importance, servit de modèle à un auteur ultérieur pour composer d’autres Questions de Marie revues et corrigées dans un sens nettement dualiste et ascétique, où le rôle de Myriam sera, comme par la suite, étrangement minimisé et dévalorisé.

Alors que Les Questions de Marie ne sont connues que par les citations qu’en donne Épiphane, la reprise dualiste et ascétique de ces «Questions» est développée dans un volumineux manuscrit copte de la British Library, Additional 5114, connu depuis le XVIIIe siècle sous le titre de Pistis Sophiaï. 9

Selon Michel Tardieu, éditeur du Codex de Berlin, l’auteur ou les auteurs de l’Évangile de Marie « cherchaient à prendre position dans le débat sur le rôle de Myriam de Magdala; les Evangiles canoniques se faisaient déjà l’écho de légendes à son sujet:

«Tous reconnaissent qu’elle faisait partie des femmes qui avaient suivi Jésus, qu’elle avait assisté à la mort de Jésus sur la croix et que c’était “d’abord” (Me 16, 9) à elle que Jésus était apparu le matin de sa résurrection. Il est probable que c’est en raison de la croyance à ce dernier fait qu’elle est nommée en tête des listes de femmes qui suivent Jésus.

D’autre part, Me 16, 9 et Le 8, 3 disent que Jésus avait chassé d’elle sept démons. Personnage contrasté: ex-possédée, compagne de Jésus, premier témoin de la résurrection. Il y avait là de quoi nourrir l’Imaginaire chrétien. La Marie-Madeleine qui entre comme armature romanesque dans l’Évangile du Codex B est devenue à la fois la confidente de Jésus, son substitut et son exégète.

Jésus lui confie des paroles qu’ignorent les autres disciples, elle occupe la place laissée vacante par Jésus, elle communique les secrets reçus et les explique.

Ce rôle d’intermédiaire entre Jésus et les disciples reposait sur la croyance à la position de Marie-Madeleine comme compagne de Jésus durant sa vie et premier témoin de la résurrection. Elle était celle qui, ayant suivi Jésus de bout en bout et parce que présente au matin de Pâques, avait été gratifiée de révélations spéciales. Dans la croyance commune, l’après-résurrection est le temps des révélations décisives qui précèdent le départ définitif de Jésus et l’envoi en mission des disciples. Parce qu’elle est la première à “avoir vu le Seigneur” (Jn 20, 18), sa présence au milieu des disciples enregistrant les dernières paroles de Jésus s’impose comme thème nécessaire aux Évangiles de l’après-résurrection.

Quelques auteurs seront amenés plus tard à élaborer le thème dans le cadre “de romans érotico-mystiques”: Marie-Madeleine est la confidente de Jésus parce qu’elle est sa partenaire sexuelle (Questions de Marie). De là vient la réaction encratite qui se fera jour dans la somme exégétique et théologique du manuscrit de Londres: Marie-Madeleine n’est que l’un des protagonistes de la discussion générale qui s’engage entre Jésus et les disciples (Pistis Sophia).

Il se peut que le compilateur de B ait voulu, en choisissant précisément cet Évangile mis sous le nom de Marie, prendre position dans ce débat et réagir devant les excès des Questions. Mais l’auteur de l’Évangile lui-même n’appartient pas au débat. La femme qu’il met en avant est la Marie-Madeleine néotestamentaire. Les détails romanesques surajoutés (jalousie des disciples, pleurs de Marie-Madeleine, récits des visions) ne changent rien au personnage que la chrétienté syro-palestinienne accréditait comme confidente ultime de Jésus et révélatrice des logia du Maître10.»

Brièvement et simplement, nous pourrions dire avec l’Évangile de Jean que « l’Enseigneur l’a aimée» (Jn 11, 5), comme II a aimé Marthe sa soeur, Lazare son frère et les autres hommes et femmes qui Le suivaient, y compris Judas.

Yeshoua n’aimait pas Jean ou Pierre «plus» que Judas, mais différemment. Ils les aimait tous, d’un Amour universel et inconditionnel, mais Il aimait aussi chacun de façon unique et particulière. C’est sur cet aspect «particulier» de sa relation avec Myriam de Magdala qu’insistera par exemple l’Évangile selon Philippe, dans lequel Myriam est la compagne de Yeshoua (Koinonos)11.

On peut « divinement » aimer tous les êtres et même ses ennemis, selon l’exercice proposé par Yeshoua; l’amour humain, lui, est fait de préférences, c’est-à-dire d’affinités, de résonances, d’intimités, qui ne sont pas possibles avec tous:

«Le Seigneur aimait Marie plus que tous les disciples, et Il l’embrassait souvent sur la bouche. Les autres disciples Le virent aimant Marie, ils Lui dirent: “Pourquoi l’aimes-tu plus que nous tous?” Le Sauveur répondit, et dit: “Comment se fait-il que je ne vous aime pas autant qu’elle12?”»

Ces quelques lignes peuvent encore choquer ceux qui ignorent les textes fondateurs du christianisme. Il ne s’agit nullement ici d’entrer dans une polémique. Les uns affirment que Jésus devait être «obligatoirement» marié puisqu’il enseignait dans les synagogues et que, dans la tradition juive, un homme non marié, étant considéré comme incomplet et désobéissant au commandement de Dieu, ne pouvait pas enseigner dans les synagogues; il ne pouvait pas, à plus forte raison, être prêtre et entrer dans les lieux les plus saints du Temple13. Ce à quoi d’autres rétorquent que Yeshoua fréquentait son cousin Jean-Baptiste et les esséniens, et on sait, d’après les manuscrits dits de la mer Morte (à ne pas confondre avec ceux de Nag-Hammadi) trouvés à Qùmran, que ces esséniens non seulement ne se mariaient pas, mais rejetaient « les femmes, les pécheurs et les infirmes14». Si on reste fidèle aux Évangiles qui nous sont familiers, rien ne nous dit que Yeshoua était «marié» (au sens où nous l’entendons aujourd’hui), mais il est évident qu’il aimait «les femmes, les pécheurs, les infirmes», ce qui scandalisera non seulement les esséniens, mais aussi les pharisiens, les sadducéens, les zélotes et les autres « sectes» de l’époque.

La question n’est pas de savoir si Yeshoua était marié ou non (encore une fois au sens où nous l’entendons aujourd’hui). Quel intérêt? La question est de savoir si Yeshoua était réellement humain, d’une humanité sexuée, normale, capable d’intimité et de préférence.

Selon l’adage des anciens: «Tout ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé.»

Si Yeshoua, considéré comme le Messie, comme le Christ (Christos, traduction grecque de l’hébreu Messiah), n’assume pas la sexualité, celle-ci n’est pas sauvée, Il n’est plus Sauveur au sens plénier du terme, et c’est une logique de mon plus que de vie qui s’installera dans le christianisme — particulièrement dans le christianisme romano-occidental:

"Le Christ n’a pas assumé sa sexualité, donc la sexualité n’est pas «sauvée», donc la sexualité est mauvaise, donc assumer sa sexualité peut être dégradant et peut alors nous rendre «coupables»".

La sexualité ainsi culpabilisée peut devenir dangereuse, nous rendre effectivement malades...

L’instrument co-créateur de la vie qui nous faisait exister «en relation», «à l’image et à la ressemblance de Dieu», devient ainsi logiquement un instrument de mort.

Serions-nous en Occident, à travers nos culpabilités inconscientes et collectives, en train de subir les conséquences d’une telle logique?

L’Évangile de Marie, comme l’Évangile de Jean et de Philippe, nous rappelle que Yeshoua était capable d’intimité avec une femme. Cette intimité n’était pas que charnelle, elle était aussi affective, intellectuelle et spirituelle; il s’agit bien de sauver, c’est-à-dire de rendre libre l’être humain dans son entièreté, et cela en introduisant de la conscience et de l’amour dans toutes les dimensions de son être. L’Évangile de Marie, en rappelant le réalisme de l’humanité de Yeshoua dans Sa dimension sexuée, n’enlève rien au réalisme de Sa dimension spirituelle, «pneumatique» ou divine.

Marc et Matthieu parleront davantage de Ses larmes devant Jérusalem, de Son angoisse ou de Ses doutes devant la mort: «Père, pourquoi m’as-tu abandonné? Si c’est possible que cette coupe s’éloigne de moi15.» C’est le même rappel de l’humanité de Yeshoua; c’est à travers cette humanité que Dieu se révèle.

L’Évangile de Marie, comme les autres Évangiles, nous invite à nous rendre libres à l’égard de nos dualités, qui nous «diabolisent», nous déchirent. Il ne s’agit pas de nier le corps ou la matière, mais, à travers notre non-appropriation et notre non-identification à ces plans du Réel, de les sanctifier, de les transfigurer, et - comme Myriam de Magdala à la suite de son «Bien-Aimé» — d’apprendre par l’imagination créatrice à mettre de l’Amour là où il n’y en a pas, là où, dans notre intelligence et notre désir «arrêtés», «entravés», en «état d’arrestation», il n’y en a plus...

Comme à Cana, si nous voulons vivre les noces, il nous faut imaginer l’ignorance réciproque transformée, par la parole inattendue, en amitié plus douce et « meilleure » que la passion des commencements; l’eau grise du quotidien réellement enivrée et changée en vin.

Il nous faut vivre le songe amoureux et éveillé de la Magdaléenne: la mort «passée» et «traversée», enfin «comprise» dans l’espace de la Résurrection.

«Comprenne qui pourra»

Non seulement Myriam de Magdala est une femme, mais une femme qui aurait accès à la «connaissance». Et c’est en ce sens, sans doute, qu’elle était, à l’époque de Yeshoua, considérée comme « pécheresse »; elle ne se conforme pas aux lois d’une société où la connaissance est affaire d’hommes et où les femmes n’ont pas le droit d’étudier les secrets de la Thora ni d’interroger les chiffres clairs ou obscurs de ses lettres carrées.

Les discours qu’elle tient aux disciples ne peuvent que les irriter. Pour qui se prend-elle? Il ne lui suffit pas d’être aimée de l’Enseigneur, il lui faut encore s’approprier Son enseignement et jouer les « initiées »; elle emprunte les paroles mêmes de Yeshoua lorsqu’il se trouvait en présence d’intelligences «non préparées», plus ou moins bornées, prenant pour réel ce qu’elles tiennent dans le champ clos de leurs perceptions: «Comprenne qui pourra»

«Que celui qui a des oreilles pour entendre entende!»

Plus important que ces paroles irritantes rappelant aux disciples les limites de leur compréhension, l’Évangile de Marie témoigne d’un mode de connaissance autre, différent de celui auquel l’esprit masculin a généralement accès.

Il s’agit d’une connaissance de type prophétique ou visionnaire qui n’est pas le propre des femmes, mais qui appartient certainement à la dimension féminine, angélique ou «orientale» de la connaissance humaine.

L’Enseigneur est interrogé à ce propos. Quel est l’organe de la vision? Avec quels «yeux» Myriam de Magdala peut-elle contempler le Ressuscité? Les réponses de l’Enseigneur sont nettes. Le Ressuscité n’est pas visible aux yeux de chair ni aux yeux de la psyché («âme») au sens ordinaire du terme; ce n’est pas une hallucination, ni un fantasme lié à quelques excitations, sensibles, psychiques ou mentales; il ne s’agit pas non plus d’une vision «pneumatique» ou spirituelle. Selon l’Évangile de Marie, il s’agit d’une vision par le noûs, dimension souvent oubliée de nos anthropologies. Le noûs est considéré par les anciens comme la «fine pointe de l’âme» - on dirait aujourd’hui «l’ange de l’âme» ; il donne accès à ce monde intermédiaire, ni seulement sensible ni seulement intelligible: l’«Imaginal» dont parle avec précision Henry Corbin16.

Nous pourrions dire avec lui que, dans l’Évangile de Marie, nous ne sommes pas « réduits » au dilemme de la pensée et de l’étendue (Descartes) ou au schéma d’une cosmologie et d’une gnoséologie limitées au monde empirique et au monde de l’entendement abstrait. Entre les deux vient se placer un monde intermédiaire, monde de l’Image ou de la représentation, un monde aussi réel ontologiquement que le monde des sens et le monde de l’intellect; un monde qui requiert une faculté de perception qui lui soit propre, faculté ayant une fonction cognitive, une valeur noétique aussi réelles de plein droit que celles de la perception sensible ou de l’intuition intellectuelle. «Cette faculté, c’est la puissance imaginative, celle justement qu’il nous faut garder de confondre avec l’imagination que l’homme dit moderne identifie avec la fantaisie qui selon lui ne sécrète que de l’Imaginaire.»

Lorsque Renan dit que «tout le christianisme est né de l’imagination d’une femme», il se trompe, sans doute parce qu’il donne au mot imagination un sens péjoratif, plus ou moins synonyme de faculté d’illusion; selon les présupposés anthropologiques qui conditionnent sa pensée, Renan, en effet, ignore les catégories relevant de l’imagination créatrice dans lesquelles ces textes anciens, ainsi que les Écritures sacrées, ont été élaborés.

Si Dieu est vivant, Il veut se communiquer, il faudra donc une médiation entre Dieu et l’humain, le visible et l’invisible, le monde des corps matériels et le monde des esprits immatériels. C’est dans ce monde intermédiaire, Imaginal, que se situent les rencontres de Myriam avec le Ressuscité. Chez elle comme chez les anciens prophètes, Dieu active dans l’imagination visionnaire les formes nécessaires pour le conduire à Lui; en ce sens «le christianisme» est bien «né de l’imagination d’une femme»:

“Seigneur, je Te vois aujourd’hui dans cette apparition.”

Il répondit:

“Bienheureuse, toi qui ne te troubles pas à ma vue”» (Ev Mr, 10, 12-15).

Nous ne sommes plus ici dans une métaphysique du Sujet s’opposant à une métaphysique de l’Objet (il n’y a pas d’objet sans sujet qui le conçoive et se le représente, il n’y a pas de sujet qui ne soit « réaction » à un objet ou à un environnement perçu comme extérieur ou «autre»). Nous sommes ici en présence d’une métaphysique de l’Ouvert, lieu de rencontre, d’affrontement ou d’alliance du sujet et de l’objet saisis dans leur interdépendance. La Réalité n’est ni objective ni subjective, elle est ce «tiers incluant» où les deux «imaginalement» deviennent un17.

Il y a là tout un champ inexploré par les philosophies contemporaines, qui oscillent encore entre les métaphysiques de l’Être (Heidegger) et les métaphysiques de l’Altérité (Lévinas). La tâche du prochain siècle sera sans doute d’investir cette pensée de l’Ouvert ou de l’«entre-deux». L’impensé ne sera plus alors à chercher du côté des Grecs ou du côté des sémites, mais dans cette « synthèse orientée » et rejetée par les uns comme par les autres qui se fait jour dans les textes du premier christianisme. Le renouvellement de la pensée aux sources des écrits néotestamentaires passera par une réhabilitation de l’imagination créatrice. «Car l’imagination créatrice est ainsi nommée non par métaphore, ou par esprit de fiction, mais au sens plein: l’imagination crée, elle est la création universelle elle-même. Toute réalité est imaginale parce qu’elle peut se présenter comme une réalité. Parler du monde imaginal, ce n’est pas autre chose que méditer une métaphysique de l’Être18 où sujet et objet naissent ensemble du même acte créateur de l’imagination transcendantale19.»

Plutôt que de parler de «Pensée créatrice», il nous faudra désormais parler d’«Imagination créatrice»; ceux qui veulent comprendre la nature et les événements du monde doivent apprendre à rêver avant que d’apprendre à penser. Le langage des Écritures sacrées est celui des images et des symboles propres aux rêves, plus qu’aux concepts propres aux sciences. Christian Jambet, dans le livre qu’il consacre à la «logique des Orientaux», ajoute:

«La réalité, c’est la nature ordonnée par des lois: voici ce que dit le discours de la science, et c’est cela l’opération imaginaire qui la constitue».

On voit bien qu’il faudrait aborder le Mundus imaginalis suivant la même méthode, dans la même perspective. Il s’agit d’un mode de “faire lien”, de construire du sens, un mode de l’interpréter. Mais qui ne repose pas sur le même fondement que la science. Loin qu’il y soit affirmé que “Tout” soit dit, il s’y manifeste au contraire, constamment, que l’Un y est dit, à la condition de “ne pas être Tout”. L’Un est impossible à dire. Ce qui se révèle, c’est le manque de toute réalité à combler le désir de l’Un. Le Mundus imaginalis est le lieu où ce qui se dit ce n’est pas “Tout”, mais le manque, le désir. C’est là plus précisément que le désir devient imagination20.»

Il faudrait ajouter «transfiguration», «résurrection».

C’est cette réalisation et incarnation de son désir que Myriam de Magdala veut nous faire partager. C’est cette Imagination créatrice que tentera d’éveiller en nous l’Évangile de Marie, non sans rencontrer les réticences et objections d’une philosophie des sens et de la raison représentée par Pierre et André.

Les conséquences éthiques d’une telle pratique du désir et de l’imagination sont évidentes et ne vont pas de nou-veau manquer de choquer les autres disciples de Yeshoua : «Le péché n’existe pas», c’est nous qui, avec notre imagination maladive, ne cessons de le créer et d’inventer des lois pour le conforter. C’est notre imagination qu’il faut guérir. Nous sommes responsables du monde dans lequel nous vivons, puisque c’est nous qui le créons; notre manque d’«imagination éclairée» l’enferme dans l’«être pour la mort» et nous enferme dans les limites où notre coeur et notre intelligence se sont arrêtés...

Ces questions seront développées au cours de notre commentaire. Notons déjà que l’imagination créatrice, dont témoigne Myriam de Magdala dans l’Évangile qui lui est attribué, est le lieu de rencontre où descendent ensemble dans une même demeure le Divin suprasensible et le sensible. L’imagination est la mise en sympathie de l’invisible et du visible, du spirituel et du physique.

Le «moteur» de cette imagination ne peut être évidemment, chez Myriam, que le désir et l’amour; elle aime un être qu’elle a connu dans le monde sensible, et elle a vu en lui la manifestation de l’Aimé divin; par l’imagination, elle spiritualise cet être en l’élevant de sa forme sensible jusqu’à son image incorruptible.

Comme les disciples au Thabor, face à Yeshoua ses yeux s’ouvrent à Sa Réalité essentielle, à l’Archétype qui l’informe, son imagination l’investit d’une présence telle qu’elle ne peut ni la perdre ni s’en absenter; elle crée ainsi le Réel Aimant qui sans cesse l’éclaire et l’accompagne. Ce Réel n’est ni illusion, ni sublimation, ni compensation dans le sens psychologique du terme, il est éveil à ce monde intermédiaire, expérience et connaissance dans lequel le Christ se donne à contempler comme «Archétype de la synthèse » que l’âme de désir cherche à étreindre: «L’Amant divin est Esprit sans corps;l’Amant physique est un corps sans esprit, l’Amant spirituel possède Esprit et corps21.»

L’apparition qui se manifeste à Myriam de Magdala (intérieurement et extérieurement) est Esprit et corps, c’est ce qui lait de Myriam un Anthropos, un être humain entier: l’incarnation qui répond à l’incarnation du Logos commun qui les informe.

Notes:

7. Voir Panarion, XXVI, 8,1 et 2; traduction française dans Tel quel, 88, p. 70-71, avec commentaire, p. 85-86.
8. Panarion, XXVI, 12,1-4; traduction, ibid., p. 75, avec commentaire, p. 88.
9. Traduction française, E. Amelineau, éd. Arché-Milan, 1975.
10. M. Tardieu, Codex de Berlin, Éd. du Cerf,1984, p. 24.
11. Voir Ev Ph,C II,59,9.
12. Ev Ph, 63, 34-64, 5 (traduction J.E. Ménard).
13. Voir Simon Ben Schorim, Mon frire Jésus, Éd. du Seuil; A. Abecassis, Josy Eisenberg, À Bible ouverte, I, Éd. Albin Michel, 1978, p. 125.
14. Voir Flavius Josbphc, Histoire des Juifs.
15. Mt 26,39; voir Me 14,32-42; Le 22,40-46.
16. Voir Henry Corbin, Corps spirituel et terre céleste, Buchet-Chastel, 1979.
17. Voir l’Évangile de Thomas.
18. Nous dirions de l’Ouvert.
19. Christian Jambet, La Logique des Orientaux, Éd. du Seuil, 1983, p. 45.
20. Christian Jambet, op. cit., p. 45.
21. Ibn Arabi, cité par Daryush Shayegan in Henry Corbin. La topographie spirituelle de l’Islam iranien. La Différence, 1990.

Par Jean-Yves Leloup dans "L' Évangile de Marie",Édition Albin Michel, 2000, pp.13-28.  Dactylographié et adapté pour être posté par Leopoldo Costa.

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