LA NAISSANCE DE L'AGRICULTURE

N’est pas responsable de l’explosion démographique.



L’émergence de l’agriculture a constitué pour l’espèce humaine une révolution technologique, culturelle et environnementale sans précédent. On pensait jusqu’alors que l’abondance des ressources qu’elle a générée, associée à la domestication et à la sédentarisation, avait constitué le point de départ sur chaque continent des plus grandes explosions démographiques que notre espèce ait connues. Pourtant, de récents travaux avaient déjà quelque peu mis à mal cette théorie pour le continent africain.

Les chercheurs Etienne Patin et Lluis Quintana-Murci (unité Génétique évolutive humaine, Institut Pasteur/CNRS) apportent aujourd’hui des résultats venant corroborer et compléter ces conclusions, grâce à la publication de la plus vaste étude jamais entreprise sur le sujet. Les travaux des scientifiques ont été menés en étroite collaboration avec des équipes du Museum National d’Histoire Naturelle, de l’université Lumière-Lyon 2 et de l’université de Montréal. Ils reposent sur l’analyse poussée du génome entier de plus de 300 individus d’Afrique centrale, issus des populations pygmées, le plus grand groupe de chasseurs-cueilleurs persistant aujourd’hui, et des populations sédentaires d’agriculteurs.

On peut dater le développement de l’agriculture en Afrique subsaharienne à il y a environ 5000 ans. Or, cette étude génomique établit que la principale explosion démographique qu’ont connue les ancêtres des agriculteurs est bien antérieure à cette période. Même si les scientifiques n’excluent pas que les premières communautés de fermiers soient également entrées en expansion il y a 5000 ans, ils pensent qu’en réalité les ancêtres des actuels agriculteurs, alors chasseurs-cueilleurs, auraient connu il y a 10000 ans à 7000 ans un succès démographique tel qu’il leur aurait été nécessaire d’adopter un nouveau mode de vie, de s’établir et d’avoir recours à l’agriculture pour subvenir à leur besoins. A l’inverse, les populations de chasseurs-cueilleurs pygmées auraient, elles, subi entre - 30000 et - 10000 ans un goulot d’étranglement démographique. Ainsi, bien avant l’agriculture, ces deux populations auraient évolué très différemment, indépendamment de toute activité agricole.

L’enquête révèle également d’autres conclusions inattendues : les brassages génétiques entre les pygmées et les peuples fermiers n’auraient commencé qu’il y a environ 1000 ans. Or, on savait, grâce à l’étude de leurs traditions orales et de leurs langues, ainsi qu’à la diversité génétique de certains agents pathogènes qu’ils partagent, que ces populations cohabitent et entretiennent des contacts depuis déjà 5000 ans. Ce mélange tardif, qui ne rentre pas dans le schéma démographique classique et témoigne de la structure socioéconomique particulière de ces populations, a néanmoins été par la suite très intense : aujourd’hui, les génomes des populations pygmées montrent jusqu’à 50% de mélange avec les populations d’agriculteurs. Un brassage qui ne s’est opéré par ailleurs que de manière unilatérale:les hommes agriculteurs se sont associés aux femmes pygmées, mais rarement l’inverse.

Les chercheurs tentent dorénavant de comprendre les mécanismes génétiques à l’origine du succès ou du déclin démographique observés chez les deux populations. Selon eux, ils pourraient être liés aux pressions environnementales différentes auxquelles ces ethnies ont été soumises par le passé, y compris à celles exercées par les agents pathogènes.

Dans "Science Magazine n. 42, mai-juin-juillet 2014, edité per Entreprende (Lafont Presse), Boulogne-Billancourt, France. Dactylographié et adapté pour être posté par Leopoldo Costa.

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